Les Albâtres de l'église abbatiale
un fait divers à l'abbaye
VOL À L’ABBATIALE
Quelle ne fut pas la surprise de l’abbé Thomas, curé de la paroisse de Montivilliers lorsqu’il découvrit au matin du 18 mars 1968 la disparition de plusieurs œuvres d’art dans l’église abbatiale !
Au total, ce sont trois tableaux et dix bas-reliefs, tous classés objets des monuments historiques, qui disparaissent.
Tous étaient accrochés aux murs de la chapelle Notre-Dame de Lourdes, dans le collatéral nord du chœur.
Sur la série des onze bas-reliefs en albâtre datant du XVe siècle, une seule est conservée : sainte Catherine, brisée, dont les morceaux jonchent le sol. Le fragment de main issu du bas-relief représentant la Flagellation était déjà conservé à part, résultat d’une précédente manipulation malencontreuse.
Aucune effraction n’est constatée et l’enquête de l’époque conclue que les voleurs se sont laissés enfermer la veille à l’intérieur de l’église. Les voleurs ne seront jamais identifiés et les bas-reliefs sont portés disparus jusqu’en 2016 lorsque l’un d’entre eux réapparait.
Bien que datant du XVe siècle, les sculptures ne sont pas liées à l’histoire de l’abbaye de Montivilliers. Elles sont installées en 1897 dans l’église à la suite du legs par Louis-Eugène Gaudibert d’un imposant retable en chêne de style néo-gothique (très en vogue à l’époque) orné des 11 bas-reliefs sculptés. On ignore comment la famille Gaudibert, propriétaire du château des Ardennes Saint-Louis à l’époque, entre en possession de cet ensemble.
Le retable, pure fabrication du XIXe siècle, se présente sous la forme d’un autel massif surmonté de hauts panneaux et accueille au centre un tabernacle coiffé d’une statue du Christ.
Sur la partie supérieure sont disposées quatre pièces d’albâtres représentant des scènes de la vie de la Vierge et dans la partie inférieure, entourées des statuettes de sainte Catherine et saint Michel, cinq scènes de la Passion du Christ.
À une date inconnue, les onze bas-reliefs sont retirés de leurs emplacements sur le retable et placés sur un simple panneau de bois sur le mur de la Chapelle Notre-Dame de Lourdes.
Emplacement des panneaux sur le retable
UNE PRODUCTION ANGLAISE
Datés du XV e siècle, les bas-reliefs s’inscrivent dans la production de ce qu’on nomme couramment les « albâtres de Nottingham ». Cette production, qui s’étale du XIVe au XVIe siècle, est spécialisée dans la fabrication de petites scènes religieuses, souvent peintes, destinées à orner retables et tombeaux.
Les onze bas-reliefs de Montivilliers sont probablement issus des ateliers de Nottingham, plus grand centre de production connu, situé à proximité des carrières du South Derbyshire, non loin de Tutbury et Chellaston. Londres, York, Burton-on-Trent accueillent également de ateliers de moindre ampleur.
L’albâtre est une pierre tendre, facile à tailler et son faible coût permet une production massive. Les sculptures en aplat, faciles à transporter, s’exportent dans toute l’Europe et la France est le pays où l’on compte le plus de réalisation de ce type aujourd’hui ; celles ornant les églises anglaises ayant été détruites après la Réforme anglicane en 1530 qui met fin à ce type de production.
Peu appréciées aux siècles suivants, ces sculptures sont remplacées dans les églises par des œuvres plus travaillées utilisant des matériaux plus nobles comme le marbre. Les sculptures en albâtre sont alors détruites ou récupérées par des particuliers amateurs d’art ou collectionneurs.
Ce n’est qu’à partir du XXe siècle que des spécialistes s’intéressent à ces œuvres et leur redonnent une valeur au sein du marché de l’art religieux.
LE RETOUR DE LA RÉSURRECTION DU CHRIST
Le 2 décembre 2016, la « Résurrection du Christ » est inscrite dans le catalogue d’une salle de vente parisienne pour une mise en vente le 14 décembre. À la demande de la commission nationale du patrimoine et de l'architecture du Ministère de la Culture, l’objet est retiré de la vente pour être identifié.
Grâce au classement des bas-reliefs en 1959, ils figurent dans la base de données des objets classés Monuments Historiques du Ministère de la Culture avec la mention « volé en 1968 », ce qui permet leur identification.
La ville de Montivilliers est informée, par l’intermédiaire de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) de Normandie, de sa réapparition.
L’œuvre est déposée dans les coffres du service des musées de France à Paris et les démarches sont alors entreprises pour que la Résurrection du Christ revienne à Montivilliers.
Après un projet d’exposition avorté sur les objets volés et la pandémie de Covid-19, en fin d’année 2023, la DRAC se rapproche des services municipaux pour organiser la restitution qui a lieu le 6 février 2024. La Résurrection du Christ rejoint sainte Catherine dans le fonds patrimonial de la bibliothèque Condorcet.
LES ALBÂTRES CONSERVÉS À LA BIBLIOTHÈQUE CONDORCET :
LES ALBÂTRES VOLÉS :
Saint Michel
Bibliographie :
- ROPIQUET, Lia, « La résurrection du Christ, Histoire d'un vol d’œuvre d'art et d'une restitution », dans Montivilliers hier, aujourd'hui, et demain, n°27, 2024
- SCHLICHT, Markus, « La standardisation comme garant du succès commercial ? Les albâtres anglais de la fin du Moyen Âge », Perspective [En ligne] : http://journals.openedition.org/perspective/15321 ;
- Markus Schlicht, Aurélie Mounier, Maud Mulliez, Pascal Mora, Romain Pacanowski. Polychromie, pigments, perception : les albâtres anglais de la fin du Moyen Âge conservés sur le territoire aquitain. 2023. ⟨hal-04369808⟩
- Base Palissy pour le patrimoine mobilier [en ligne] : https://pop.culture.gouv.fr/notice/palissy/PM76001115