temps glaciairesm202397Temps glaciaires de Fred Vargas

" Adamsberg attrapa son téléphone, écarta une pile de dossiers et posa les pieds sur la table, s’inclinant dans son fauteuil. Il avait à peine fermé l’oeil cette nuit, une de ses soeurs ayant contracté une pneumonie, dieu sait comment.
– La femme du 33 bis? demanda t-il. Veines ouvertes dans la baignoire ? Pourquoi tu m’emmerdes avec ça à 9 heures du matin, Bourlin? D’après les rapports internes il s’agit d’un suicide avéré. Tu as des doutes?


Adamsberg aimait bien le commissaire Bourlin. Grand mangeur, grand fumeur, grand buveur, en éruption perpétuelle, vivant à plein régime en rasant les gouffres, dur comme pierre et bouclé comme un jeune agneau, c’était un résistant à respecter, qui serait encore à son poste à 100 ans.
– Le juge Vermillon, le nouveau magistrat zélé, est sur moi comme une tique, dit Bourlin. Tu sais ce que ça fait les tiques? "

Article Télérama :

Malicieuse, Fred Vargas s'ingénie à perdre son lecteur entre brumes islandaises et souvenirs de Robespierre. Un objet de pure poésie. A la page 110, on est carrément perdu. Mais que vient donc faire une guillotine dans le contexte d'un drame islandais : une dizaine de touristes piégés par la brume sur un îlot désert ? Quarante pages plus loin, le problème ressemble à « une grosse pelote d'algues enchevêtrées ». Les ex-touristes, qui avaient déjà une fâcheuse tendance à disparaître les uns après les autres, comme dans un roman d'Agatha Christie, se retrouvent brusquement réunis sur une liste des membres d'une mystérieuse « Association d'étude des écrits de Maximilien Robespierre » transmise à la police par son président aux allures de conspirateur, comme dans un roman d'Alexandre Dumas. A l'instar du commissaire Adamsberg, chargé du démêlage de la pelote, voilà le lecteur embrouillé serré, condamné à la « balade hors piste dans les nuées », rebondissant comme une bille sur du verglas, de suicides en meurtres, puis de suspects en suspects, du cercle arctique à Robespierre : glaçant ! Et c'est peu dire que cette « longue marche sans boussole dans les brumes » est un délice. Cinq cents pages durant, voici un concentré du talent si singulier de Fred Vargas. Une progression en funambule au-dessus des méandres d'une intrigue aussi improbable qu'addictive (comment l'auteur va-t-il se sortir du guêpier dans lequel il s'est fourré ?), une galerie de personnages comme autant de pièces de collection (une mention particulière au sanglier Marc), un joyeux festival de références (la bonne s'appelle Céleste, comme celle de Proust). Fred Vargas a le sens du conte et du récit, le goût du raisonnement poussé jusqu'à l'absurde, l'art de la question qui tue : « S'il y avait réellement un fond de l'air, comment appelait-on l'autre partie ? » Jamais à court d'une malice, elle entraîne le lecteur à « déserter les terres de la raison » vers les rives du mythe et de la légende. Son nouveau roman, un des plus réussis, est un objet de pure poésie, souvent très drôle. Ce qui ne l'empêche pas de résonner avec l'actualité quand l'auteur évoque, à travers la figure de Robespierre, l'opacité redoutable du fanatisme. Le titre, Temps glaciaires, prend alors tout son sens.

Le 07/03/2015 - Mise à  jour le 04/03/2015 à  12h40 Michel Abescat - Telerama n° 3399